[Read in English] La pandémie de coronavirus a terrorisé le monde et nous a paralysés. Le nombre de cas de Covid-19 dans le monde a dépassé un million, avec un bilan de 64.703 décès, d’après les chiffres de l’université américaine Johns Hopkins. Le nombre continue d’augmenter. Pour parler de la préparation de l’Afrique au coronavirus et de la manière dont l’Afrique y répond, l’organisation Africa Faith and JusticeNetwork [AFJN] (Réseau Afrique Foi et Justice) a fait appel le 4 avril 2020 à son Excellence André Lite, Ministre des Droits Humains (MDH) de la République démocratique du Congo [RDC]. Voici les réponses de l’Honorable Lite lors de notre interview.
AFJN: Le docteur Jean-Paul Mira, responsable des soins intensifs à l’hôpital Cochin à Paris, a déclaré lors du débat sur la chaîne de télévision française LCI : « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique__, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas ».
Pendant des siècles, le monde a utilisé des Africains comme cobayes pour ses expérimentations. Que dites-vous de ce genre d’attitude envers l’Afrique?
MDH : Ces deux figures sinistres devraient savoir que l’Afrique ne servira plus de terrain d’essai comme c’était le cas à l’époque coloniale ou de l’esclavage. Nous voulons également saisir cette occasion pour interpeller nos partenaires occidentaux, en particulier les institutions publiques, qui n’ont pas condamné ces opinions. Ils ont simplement fermé les yeux sur les déclarations de ces deux médecins. Ces déclarations étaient racistes et nous les condamnons fermement. Nous ne tolérerons pas de telles opinions.
Si des essais cliniques devaient être menés, pourquoi ne pas les faire en France, en Espagne ou en Italie où beaucoup d’innocents meurent parce qu’ils ont cru en certains experts qui ont minimisé la gravité du coronavirus?
AFJN: Le 29 mars 2020, Andrew Pekosz, professeur de microbiologie moléculaire et d’immunologie à l’École de Santé publique Bloomberg de l’Université Johns Hopkins, a déclaré dans un tweet : « Je sais que #Covid19 est la principale préoccupation de tout le monde, mais il est bon de reconnaître les efforts de #DRC à contrôler leur épidémie #Ebola ». Que peut apprendre le monde de la façon dont la RDC a empêché que l’Ebola devienne une crise internationale comme le coronavirus ?
MDH : La RDC a définitivement une longue expérience dans la lutte contre Ebola, dont la dernière épidémie vient d’être vaincue dans l’Est de la RDC. Nous serions très heureux, en tant que pays, de partager cette expérience avec la famille des nations, dans l’effort de vaincre Covid-19. Cela dit, j’ai du mal à soutenir que l’on compare notre expérience avec Ebola, qui était une épidémie, au coronavirus, qui est une pandémie. Ce sont deux maladies différentes et les experts de la santé devraient nous dire comment faire face à cette pandémie mondiale.
Mais en fin de compte, le coronavirus sera un jour ou l’autre éradiqué comme c’était le cas avec la grippe espagnole, la maladie à virus Ebola ou toute autre maladie mortelle à laquelle le monde a été confronté dans le passé.
AFJN: Une vidéo circule sur WhatsApp dans laquelle le chef de la riposte de la RDC au Covid-19, le Docteur Jean-Jacques Muyembe-Tamfum, dit que la RDC a été choisie pour un essai clinique d’un vaccin qui « pourrait être fabriqué au Canada, aux États-Unis ou en Chine ». Qu’en pensez-vous?
MDH: Moi aussi, j’ai pris connaissance de la déclaration du Docteur Muyembe sur les réseaux sociaux, comme la plupart des gens. Reste à savoir si la déclaration sera mise à exécution. Pour ma part, je tiens à souligner que la RDC ne doit pas servir de terrain d’essai pour les vaccins contre le coronavirus. Qui a choisi la RDC pour cet essai clinique et qui a décidé au nom de l’État de la RDC de participer à cet essai ? Je suis ministre du Cabinet et je n’ai connaissance d’aucune demande de ce type adressée à la RDC pour participer à cet essai. Absolument pas.
Donc, je dirais simplement que le pays n’a rien à faire avec cette déclaration et nous sommes donc prêts à nous opposer fermement à toute décision de conduire un essai clinique en RDC. Nous nous sommes déjà opposés au Professeur Français qui a exprimé des opinions similaires, comme si la RDC en tant que pays, ne pouvait pas penser pour elle-même et pour son avenir. Il serait difficile de croire que ces pays occidentaux où le vaccin est développé nous aiment plus que nous ne nous aimons.
AFJN : Votre Excellence, même les pays développés ont été surpris par la pandémie de coronavirus. Comment l’Afrique réagit-elle à l’épidémie ? Avez-vous une recommandation pour une réponse de la part de l’Union africaine ?
MHR : Eh bien, il est impossible de faire sortir le sang d’une pierre. Ce n’est certainement pas la première fois que l’Afrique est confrontée à un défi de cette ampleur. Les Africains vivent sur le continent africain depuis des milliers d’années maintenant. Tout comme nous avons survécu à des défis tels que l’esclavage, les ravageurs, le choléra, le virus Ebola, les guerres et une foule d’autres maladies, nous allons donc survivre au coronavirus.
La RDC, en tant que pays, se trouve dans une position unique, car le Président Félix Tshisekedi est le Vice-président de l’Union africaine. Nous contribuerons aux mesures prospectives de lutte contre le Covid-19 au niveau africain. Nous verrons comment la RDC pourrait proposer une sorte de plan Marshall pour reconstruire l’économie des pays africains suite à la destruction laissée par le coronavirus.
C’est un secret de polichinelle que si cette crise est d’abord une crise sanitaire, elle aura, à court terme, des implications économiques, sociales et politiques. Et il serait suicidaire pour les États Africains de rester inactifs et de ne rien faire. Nous devrons faire preuve de résilience et de débrouillardise pour nous remettre de la pandémie.
D’autre part, contrairement à la proposition du Fond Monétaire Internationale (FMI) de geler le service des dettes des nations africaines, ce qui a été récemment approuvée par le Secrétaire Général de l’ONU, je pense que l’annulation totale de ces dettes pour des raisons humanitaires devrait être faite. Cela aidera nos pays à réinvestir les dettes annulées dans des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement, la protection de l’environnement et le développement des infrastructures. Bien entendu, cela nécessitera une discussion avec les institutions de Bretton Woods et le Club de Paris et le Club de Londres afin de débusquer les modalités d’annulation de la dette. L’Afrique est accablée par cette dette depuis si longtemps, il est grand temps qu’elle soit annulée.
AFJN: Enfin, en tant que Ministre des Droits de l’Homme, avez-vous un plan pour les prisons surpeuplées de la R. D. Congo, face à Covid-19 ?
MDH : Disons d’emblée que les prisons sont sous la juridiction de mon collègue le Ministre de la Justice. Cependant, nous avons fait une série des propositions au Premier Ministre visant à libérer les prisonniers qui purgent une peine pour une infraction mineure, ceux qui sont en prison en état de détention provisoire et ceux qui devraient bénéficier d’une grâce présidentielle.
D’autre part, à titre personnel, je me suis adressé au Ministre de l’Intérieur pour donner des instructions à la police afin que les personnes placées en détention provisoire dans nos postes de police pour des délits mineurs soient également libérées. Le Ministre des Affaires Intérieures m’a rassuré de donner cette instruction dans les 24 heures.
Ce faisant, des mesures de distanciation sociale seront possibles dans nos prisons. Cela dit, d’autres mesures annoncées par le Président pour éviter Covid-19, telles que le lavage des mains et l’étiquette contre la toux, seront également imposées dans les prisons.