Interview réalisée par Barthelemy Bazemo, Analyste politique
March 24, 2014
Un an après le putsch du 24 Mars 2013 en Centrafrique, la situation est des plus préoccupantes. Le calme est loin d’être rétabli à Bangui et dans certaines contrées du pays. Et la paix, cette denrée essentielle au développement et à l’épanouissement des peuples, manque cruellement au pays de l’Oubangui-Chari. Mais Les responsables des trois grandes confessions religieuses en République Centrafricaine (RCA) se refusent de tomber dans le pessimisme. Ils ont pris leur bâton de pèlerin pour chercher la solution au problème centrafricain aux Etats-Unis. Fidèle à ses idéaux de plaidoyer auprès du Congrès américain pour l’Afrique, le réseau ‘Africa Faith and Justice Network’ est allé à la rencontre de ces éminents hommes religieux, dernier espoir, ferment de réconciliation et d’unité. Ils nous livrent ici leurs impressions sur l’imbroglio centrafricain et les éventuelles pistes de sortie de crise.
On ne peut pas dire que nos lecteurs vous connaissent. Peuvent-ils faire plus ample connaissance avec vous?
• Je suis Mgr Dieudonné NZAPALAINGA, archevêque de Bangui
• Je suis Imam Omar KOBINE LAYAMA(DN), Président de la communauté islamique centrafricaine
• Je suis le Révérend Nicolas GUEREKOYAME-GBANGOU, Président de l’Alliance des Eglises Evangéliques en Centrafrique.
Pouvons-nous savoir les raisons de votre présence à Washington?
(Réponse de l’imam Omar KOBINE)
Nous sommes à Washington pour faire un plaidoyer et présenter la situation de la Centrafrique à tous nos partenaires, qu’ils soient du gouvernement, du Parlement ou des ONG et qui pensent à ce peuple entrain de se souffrir depuis plus d’un an d’une crise organisée par des groupes armés. Malheureusement les gens qualifient cette guerre de guerre «religieuse » et nous qui sommes des religieux, nous réfutons cette thèse. De notre avis, c’est une guerre militaro-politique et la communauté internationale doit prêter attention à la situation de ce peuple.
Pouvez-vous décrire succinctement les raisons de l’impasse socio-politique de la République Centrafricaine?
(Réponse de Mgr Dieudonné NZAPALAINGA)
Si aujourd’hui nous sommes arrivés à des impasses, c’est parce que le dialogue social n’a pas joué son rôle à fond, la démocratie n’a pas été aussi au premier rendez-vous, nous avons eu également l’impunité qui a gagné le peuple, des gens qui ont fait des coups d’Etat, se retrouvent encore au pouvoir. Ils sont là avec l’armistice croyant qu’ils peuvent gouverner éternellement. L’armée quelque part a été laminée, ethnicisée, tribalisée et régionalisée si bien qu’elle n’a pas joué son rôle pour protéger le peuple centrafricain, pour ne pas dire le territoire et les biens ; toutes ses raisons ont fait que nous avons eu un cocktail Molotov qui a explosé le 24 Mars 2013 avec la prise de pouvoir par la Seleka qui est une coalition venue pour instaurer la liberté, la démocratie, hélas on a assisté à atrocités, des violations de droits humains et aussi à des pillages organisés, ce que nous dénonçons et condamnons fermement.
Où en êtes-vous avec le processus de réconciliation entre les fils et filles de la Centrafrique? Quelle a été la contribution de la communauté internationale ?
(Réponse de Révérend Nicolas GUEREKOYAME-GBANGOU)
Vous dites bien processus, cela veut dire toute une étape, toute une démarche ; nous sommes heureux d’annoncer que depuis le début de la crise en République Centrafricaine avec les Seleka et maintenant avec les Anti-balaka, le dialogue n’a pas été rompu. Le peuple centrafricain est resté toujours dans la dynamique du dialogue à travers les leaders religieux que nous sommes. Nous avons toujours effectué des déplacements en provinces pour déclencher le dialogue entre les populations et les différentes communautés. A Bangui nous organisons toujours des réunions entre les communautés ; et maintenant qu’un nouveau gouvernement vient d’être mis en place, il ya des efforts pour que les gens s’asseyent pour parler entre eux mais entre parenthèses cela ne va pas exclure que la justice soit aussi au centre de ce processus. Donc les fils et filles de la RCA sont bel et bien dans la dynamique de la réconciliation même si le parcours s’avère difficile avec toutes les plaies, les rancunes, les haines dans les cœurs. Mais nous croyons que par la force du dialogue, et nos paroles comme arme pour désarmer les cœurs, les centrafricains finiront par s’asseoir autour d’une même table pour la réconciliation.
Nous ne pouvons pas dire que la communauté internationale nous a abandonnés en RCA parce que nous avons la MISCA une force de l’Union Africaine, Sangaris une force française, il ya également les forces de certains pays de l’Europe, qui se sont engagés pour envoyer des troupes. Et bientôt l’opération de maintien de la paix va être déployée. Pour nous c’est un motif de satisfaction, d’encouragement de voir l’engagement de la communauté internationale. Et puisque nous sommes en territoire américain, nous voulons également mettre en relief la contribution, les promesses de certains partenaires suite à nos différentes rencontres avec les autorités de ce pays.
Que diriez-vous du reportage des media internationaux, vérité des faits ou machination politico-médiatique?
(Réponse de l’imam Omar KOBINE)
De prime abord nous pouvons dire que la presse a voulu faire connaître la crise centrafricaine au monde entier mais néanmoins elle s’est contentée seulement de présenter le sang qui coule oubliant l’effort que les gens déploient sur le terrain, la contribution des leaders que nous sommes pour conscientiser les Centrafricains pour appeler à la tolérance et à l’amour réciproque, elle ne présente pas ces efforts conjugués mais le coté purement négatif ; elle publie des informations que c’est une guerre religieuse entre chrétiens et musulmans et nous nous portons à faux par rapport à cela. Elle présente également les milices et les bandits armés comme des milices chrétiennes et musulmanes, alors qu’il n’ya pas de leaders religieux à la tête de ces groupes.
C’est plutôt les hommes politiques qui instrumentalisent ces jeunes abandonnés à leur sort et à la recherche de survie. Nous ne voulons pas que les jeunes qui sont appelés à construire le pays deviennent des renégats. Ici notre propos est de vouloir aider ces jeunes, eux qui sont l’avenir de ce pays à aller dans le sens de la réconciliation.
A l’issue de vos différentes rencontres avec les autorités américaines, quel écho pouvez-vous faire de ces échanges?
(Réponse de Mgr Dieudonné NZAPALAINGA)
L’écho que nous pouvons faire est dans un premier temps positif parce que les portes nous sont offertes, disponibilité a été manifestée, promesses ont été faites; maintenant nous attendons à ce que ces promesses soient transformées en réalité, ça veut dire que le gouvernement américain apporte sa contribution pour l’opération de maintien de la paix, en d’autres termes l’USAID vienne en aide à la population au niveau humanitaire ; et nous attendons aussi à ce que les grandes banques qui sont ici, rapidement accompagnent le processus politique.
Aujourd’hui nous avons une femme est à la tête du pays; c’est le moment pour que les droits humains soient respectés, c’est le moment pour que l’appareil judiciaire soit remis en route, c’est le moment pour que l’éducation puisse reprendre, c’est le moment pour que la santé puisse trouver sa place, c’est le moment pour fonder et refonder l’administration qui n’existe que de nom et maintenant on pourra après redéployer les agents de l’Etat : ce qui veut dire que nous avons exposé tous nos problèmes aux autorités américaines. Et beaucoup ont pris bonne note et nous attendons au retour la conversion des promesses en réalité.
A vous voir ensemble, vous les responsables des trois grandes confessions religieuses: les Protestants, les Musulmans et les Catholiques, c’est un signe fort éloquent de témoignage; forts de cette expérience, quel message à l’adresse du publique américain et du monde entier?
(Réponse de Révérend Nicolas GUEREKOYAME-GBANGOU)
Notre déplacement à Paris en France, aux Etats-Unis, bientôt à Rome, à Genève et à Berlin en Allemagne, est un message aussi à l’endroit de ceux qui s’occupent de l’aspect spirituel de l’homme, pour dire que dans une société en pleine crise, en pleine compétition, là où il ya le désespoir le religieux en principe devrait servir de rempart, de lumière, de sel et nous pensons que notre présence en terre américaine devrait amener aussi les leaders religieux aux Etats-Unis à comprendre que l’heure est venue pour que nous puissions faire tomber les barrières religieuses, dénominationnelle, pour nous mettre ensemble afin d’inspirer une nouvelle confiance à la société qui est entrain de sombrer à cause de nombreuses crises.
Nous lançons cet appel non pas seulement au peuple américain mais aussi au monde entier pour qu’il comprenne que l’heure est venue de créer un nouvel espoir à l’humanité toute entière.